Je suis né en 1955 à Paris. Mes parents habitaient un petit pavillon de banlieue, j’étais leur deuxième fils. Toute ma famille était catholique sans être vraiment pratiquante. Néanmoins je fus baptisé, j’ai été au catéchisme et j’ai fais ma première communion et ma confirmation. J’aimais l’ambiance de mon église, j’ai eu l’occasion d’y servir plusieurs fois la messe et d’y lire l’Evangile. Chaque jour je priais consciencieusement avant de m’endormir.
Adolescent je pris quelques distance avec la religion, cette période fut plutôt consacrée aux études et aux copains.

C’est à l’un d’eux que je dois mon premier contact avec la WATCHTOWER. Ce camarade m’avait offert les livres Vérité et Evolution alors que j’allais encore au lycée en 1973. Je les ai dévorés, convaincu d’avoir trouvé la vérité. Il faut bien avouer que ce qui me plaisait le plus c’était cette idée de fin du monde. J’étais, comme beaucoup de jeunes, dégoûté par la société et cette notion de justice qui allait s’abattre du ciel convenait bien à mon caractère un peu excessif. Mais j’avais d’autres préoccupations, le BAC, suivi du service militaire, car j’avais devancé l’appel. Dans mes bagages militaires il y avait le livre Vérité. Je parlai de ma découverte à un copain de chambrée qui étrangement me conseilla de cacher le livre. Il était protestant et loin d’être convaincu par ce que je lui disais, il m’offrit une bible version Synodale que malheureusement je n’ai pas lue en entier.
A mon retour de l’armée je trouvai du travail au sein d’une grande entreprise dans laquelle un chef de service était TJ. Il prêchait à qui voulait l’entendre que la fin du monde était pour 1975. C’était le premier TJ que je voyais à l’œuvre et ce n’était pas brillant, il me refroidit plutôt. Mes premiers salaires me permirent de m’acheter une moto. C’est elle qui allait marquer un tournant dans mon existence pendant l’été 1975. A l’occasion d’un trajet qui devait me conduire de Paris jusqu’en Corrèze, j’ai eu un accident. En pleine campagne et en pleine nuit j’ai perdu le contrôle de mon engin dans un virage. J’ai fait un tout droit pensant me retrouver dans un champ ce qui n’aurait rien eu de dramatique car ma bécane était tout terrain. Malheureusement le virage précédait un pont qui enjambait une rivière et j’ai donc fait une chute de dix mètres dans le noir absolu. Plusieurs choses ont contribué à préserver ma vie. Je suis resté sur ma machine dont la suspension avant a largement atténué le choc à l’atterrissage, je suis tombé à peu près au milieu du lit de la rivière sur un banc de sable ce qui m’a permis d’échapper à la noyade, une voiture me suivait et le conducteur ne me voyant plus devant lui a eu le réflexe de s’arrêter pour regarder par-dessus le parapet du pont. C’est donc tout naturellement qu’un des pompiers me dit dans l’ambulance où je venais de reprendre connaissance:
« Tu peux remercier le Bon Dieu ! ». Oui je m’en tirais bien : une clavicule de déboîtée et un léger traumatisme thoracique. « Tu peux remercier le Bon Dieu », ces paroles revenaient constamment dans mon esprit. La réponse semblait simple, il suffit d’approfondir le message du petit livre bleu. Je repris contact avec mon copain de lycée et son père TJ m’apprit qu’il était en prison pour avoir refusé d’effectuer son service national. J’avais honte de moi, qui d’autre que les vrais chrétiens pouvaient ainsi refuser d’apprendre à faire la guerre ? J’assistais donc aux réunions avant de commencer l’étude que j’ai demandée moi-même au père de mon ancien camarade de classe.

Dans les congrégations beaucoup pensaient que la fin viendrait dans les quelques années qui suivaient 75, c’était aussi ma conviction, soigneusement entretenue par les explications de l’époque, j’avais beaucoup de chance que Dieu m’ait attendu. Bref au bout de deux mois je prêchais, je fus baptisé à Colombes en 1976, 6 mois après avoir commencé l’étude, 6 mois après le baptême j’étais pionnier auxiliaire, 6 mois après je démissionnais d’une grande société ou j’étais technicien pour travailler à mi-temps comme magasinier et être pionnier permanent. Mes progrès rapides me propulsèrent au rang de serviteur ministériel.
Fin 78 je me suis marié avec une charmante jeune fille qui avait les mêmes objectifs spirituels que moi. Après un an de service ordinaire nous sommes devenus pionniers spéciaux et avons quitté la banlieue parisienne pour servir autour de la Gare de l’Est à Paris. Nous y avons côtoyé une population bigarrée et attachante. Malheureusement la Société nous a réquisitionnés pour travailler au studio d’enregistrement des cassettes de lecture de la Bible situé à Charenton. Nous devions travailler la nuit pour dupliquer le maximum de K7 afin que les stocks soient complets pour les prochaines assemblées de district. Au bout d’un an nous sommes revenus dans notre région en tant que pionniers permanents. En 1982 nous avons arrêté le service car notre première fille était attendue. En 1984 j’étais nommé ancien j’avais 29 ans. Notre deuxième enfant est né en 1986.

Le temps passait vite et nos plus belles années se sont envolées, ponctuées par les réunions et la prédication. Je connus le sommet de ma carrière d’orateur en 92 et 93, années où je participais au programme de l’assemblée de district au Parc des Expositions du Bourget. Prononcer une allocution devant 30000 personnes et se sentir envahir par le calme semble donner raison à ceux qui vous disent que Jéhovah soutient ces serviteurs. Mais c’est oublier les semaines de préparation intensive et les années de formation à l’école du ministère théocratique. Rien de miraculeux là dedans seulement des techniques soigneusement mise au point et appliquées par la WATCHTOWER et ses meilleures élèves. En 91 un comité de construction avait édifié deux Salles du Royaume sur étage près de chez nous, mais l’accroissement n’était plus d’actualité, restaient les mensualités d’un énorme emprunt à rembourser et toutes les congrégations impliquées dans le projet qui tirent la langue pour payer.
Mon beau-frère TJ ainsi que sa femme (la sœur de mon épouse) furent emportés par la maladie à quelques mois d’intervalle à un peu plus de quarante ans. Nous étions effondrés. Le milieu des années 90 était là mais ni la fin du système de chose ni le Paradis tant espéré. Vinrent une série de nouvelles lumières censées expliquer cela. Dans les congrégations les jeunes quittaient la vérité les uns après les autres, laissant des parents désemparés. Mes deux filles ne prenaient pas position mais en voyant ce qui se passait autour de nous je n’avais pas vraiment envie de les pousser au baptême. Comme ancien tout cela n’était pas facile à vivre, le travail était de plus en plus pesant et les pressions importantes. Des frères se cantonnaient dans leur rôle d’assistants ministériel afin de préserver un peu leur vie privée. Beaucoup d’anciens manquaient à l’appel et en 96 le surveillant de circonscription me demanda d’apporter mon soutien à mon ancienne congrégation où des dissensions importantes affectaient le collège. Je me retrouvais dans le rôle de gendarme au sein d’un collège où deux anciens étaient déjà là quand je suis devenu TJ ! Comme beaucoup dans la région cette congrégation est à 60 % antillaise. Le problème c’est que Martiniquais et Guadeloupéens peuvent difficilement se supporter même une fois devenus TJ. Difficile pour la WATCHTOWER de pénétrer dans leur jardin secret, il suffit d’assister à un mariage de TJ antillais pour comprendre qu’ils sont avant tout antillais et que rien ne pourra les changer. Il semble que ce peuple ayant été libéré de l’esclavage est comme immunisé de l’influence de toute religion ou secte. A la même période je perdis mon emploi, à plus de 40 ans j’avais beaucoup de mal à retrouver du travail et la congrégation accaparait le maximum de mon temps. En conséquence, après un an et demi, je décidai de me mettre à mon compte.

La “vérité” devenait de plus en plus fade, l’enseignement au sein de ma congrégation était de piètre qualité. Comme beaucoup d’autres j’ai commencé à négliger l’étude individuelle, je ne préparais que mes participations aux réunions. Mon travail m’obligeait à réduire mon activité de prédication à quelques heures symboliques. C’est alors que l’étau a commencé à se desserrer progressivement. Mon esprit critique s’est petit à petit réactivé. Les arguments développés lors de réunions ou dans les conversations entre frères m’agaçaient. Les contorsions médiatiques et juridiques de la société en France m’horripilaient. Les mises à jour incessantes de la WATCHTOWER me firent douter du collège central. J’ai commencé à retrouver une certaine indépendance mentale au point de braver des interdits de l’organisation. Je me suis intéressé à certains Groupes de News et sites sur Internet et j’ai fini par découvrir la face cachée de la WATCHTOWER. Tout cela s’est fait en compagnie de mon épouse qui a suivi le même chemin, heureusement pour notre couple!

En septembre 99 nous avons remis au collège nos lettres de retrait, mais suite à un contact avec Jacques LUC nous avons réfléchi et nous sommes rétractés ne voulant pas être complètement coupés de notre famille TJ et de certains amis encore dans l’organisation.
Le collège m’a alors immédiatement radié des anciens. Un mois plus tard les anciens sont venus nous voir ma femme et moi pour nous demander si nous voulions toujours être TJ ? Nous avons répondu que nous entretenions des doutes au sujet de la WATCHTOWER mais que pour l'instant nous souhaitions rester TJ car l'exclusion signifie renier le Christ et se couper de notre famille et amis TJ, ce que nous ne voulions pas. L'entretien s'est terminé de façon très cordiale les anciens nous ont salués et ont promis de nous tenir au courant des suites. Deux semaines passèrent et surprise nous avons appris par hasard que notre exclusion venait d'être annoncée la veille à la salle.
Cela a profondément choqué mon épouse qui a une grande partie de sa famille TJ et qui de plus est très peu intervenue dans la discussion avec les anciens. Ceux ci ne pouvaient d’ailleurs pas lui reprocher grand- chose si ce n’est d’être ma femme. Nous avons engagé une procédure en appel auprès des anciens qui ne nous ont jamais re-contactés. Nous avons donc écrit au Béthel qui nous a répondu qu’il transmettait notre lettre au collège, la boucle était fermée. Mon expérience chez les TJ n’a donc rien de dramatique, j’ai passé de bons moments en leur compagnie, je laisse parmi eux d’excellents amis, mais cet épisode de mon existence a comme un arrière-goût plutôt amer. Le sentiment d’avoir été trompé, le temps perdu dans des activités pas toujours spirituelles, la colère d’avoir été dépossédé d’une partie de sa vie, d’avoir abandonné une carrière professionnelle pour une simple chimère. Je voulais servir mon Créateur, remercier le Bon Dieu de m’avoir sauvé la vie une nuit du mois d’août 1975 et je m’aperçois que ce sont les intérêts d’une simple organisation humaine que j’ai défendus.


DB le 7 mai 2000.