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Suite du témoignage de Marie...
Avec le recul, je ne sais toujours
trop quoi penser de l’adhésion de ma mère pour cette secte.
Elle est comme tous les Témoins de Jéhovah : elle clame haut et fort que
ce n’est pas une secte, elle en appelle au droit de la liberté d’opinion,
elle affirme qu’elle ne s’est pas laissée embrigader mais qu’elle les
a suivis non pas par peur, mais par amour pour Dieu. Je pense que c’est
vrai : elle a été très volontaire du choix de ses croyances dans la mesure
où il ne faut pas sous-estimer la puissance de cette secte : on peut être
quelqu’un d’intelligent, et se faire avoir. Ce n’est pas une question
d’intelligence, mais de mécanismes psychologiques très très bien étudiés
et qui sont fait pour piéger n’importe qui serait fragilisé par la souffrance
et un questionnement sur la recherche de sens et de mieux être : cette
secte est tout sauf complètement idiote et elle amène ses victimes à une
acceptation absolument “volontaire” de préceptes qui sont séduisants pour
qui intègre bien l’interdiction de douter. Donc partant de ce point de
vue ma mère n’a pas peur de Dieu, dit-elle parce qu’elle l’aime. Oui,
mais... Elle n’a sans doute jamais eu l’occasion d’être en désaccord avec
l’un de leurs dogmes... Tant qu’on “tourne rond” bien huilés dans un système
en circuit fermé, tout va toujours pour le mieux chez les Témoins, on
peut même y être heureux.
Les ennuis commencent quand le doute s’installe et quand (pire encore)
il est exprimé !
Je vois ma mère comme une femme assez rigide (elle ne plaisantait pas
avec la moralité), mais intelligente. La rigidité, c’est sans doute ce
qui lui a fait accepter sans broncher ce Dieu sévère et sans concession.
Je pense qu’elle est très fière du côté “élitiste en matière de moralité”
des Témoins de Jéhovah, ce qui dans son esprit cautionne la Vérité de
tout ce qui vient de l’Organisation (traduisez : Jéhovah - ça va de soi
!)
L’intelligence, par contre, c’est
peut-être ce qui la tirera de l’emprise psychologique de cette secte car
quelque part j’ai l’intuition qu’elle a pris certaines distances avec
les Témoins dans sa façon de penser et même de permettre à mes frères
adolescents de couper parfois aux réunions, lorsque mon beau-père a le
dos tourné ; chose impensable du temps ou je vivais encore chez elle !
Je note avec le temps des transformations. J’observe, je ne dis rien,
mais il me semble que quelque part, le doute est entré dans sa vie. C’est
peut-être encore du domaine de l’inconscient, de l’inconcevable (depuis
30 ans qu’elle y est). Il y a peu de temps, au début de cette année elle
a reconnu qu’elle ne nous avait pas élevées, ma sœur et moi comme son
cœur le lui dictait : c’est la secte qui a toujours orienté ses choix
et ses décisions aux conséquences bien souvent malheureuses.
Je pense qu’elle a pris conscience de certains “ratés” induits par la
secte et depuis, elle lâche du lest.
Je ne crois pas que cela signifie une remise en question de ses croyances,
mais une leçon du passé qui lui a fait sentir la nécessité d’agir autrement,
de façon plus souple dans l’espoir de garder mes deux derniers frères
“dans la vérité”.
Aujourd’hui, me dit-elle, les choses
changent... L’Organisation se rend compte que...
Il est bien là le danger : l’organisation s’adapte, tire les conséquences
d’anciennes erreurs... et se transforme pour mieux garder des adeptes
qui auraient peut-être foutu le camp depuis longtemps si les choses ne
bougeaient pas. Après un remariage témoin, ma mère a eu deux fils, mes
demi-frères, qui ont 21 et 18 ans. Eux, ils font des études prolongées.
Ma mère n’y voit que la libéralité et “l’esprit large” des témoins ; moi
je perçois surtout deux futurs outils redoutables pour l’avenir informatique
et juridique de la secte (deux moyens pour elle de s’infiltrer de façon
stratégique et judicieuse).
Bien évidemment mes frères ont choisi leur cursus, mais on ne les dissuade
pas d’entreprendre ces longues études... un jour, s’ils restent Témoins,
je suis bien sûre qu’on ne manquera pas d’exploiter leur future carrière
au profit de la secte. Quand je pense que moi, lorsque je suis arrivée
en fin de troisième j’ai dû me battre pour pouvoir aller en seconde quand
on me destinait à une formation d’aide ménagère...
Je pense que ma mère, à sa décharge, a été au fil du temps de moins en
moins malléable sur le sujet de ses enfants. Quelque part elle nous a
protégés et permis de faire des études, prenant presque position contre
l’avis de la secte, du moins en ce qui me concerne car elle ne m’a pas
contrainte à cette formation d’aide ménagère quand j’ai manifesté mon
refus.
De même pour l’adolescence de mes
frères. Elle a su tirer les conséquences de l’éducation extrêmement rigide
et peu tolérante pour les goûts de notre âge, que ma sœur et moi avions
comme tous les adolescents. Tout était contrôlé, surveillé et au besoin
sanctionné. Aujourd’hui elle me montre à quel point mes frères sont gâtés
: ils suivent de longues études, sortent en bande de copains (tous témoins
ou fils et filles de témoins et si le copain n’est pas de l’Organisation
il doit impérativement avoir une moralité irréprochable (c’est une petite
entorse que nous a toujours permis ma mère). Ils organisent même des concerts
(toujours entre témoins) car mes frères font de la batterie. Ils ont pu
passer leur permis dès l’âge de 16 ans pour l’un et dès sa majorité pour
l’autre. Bref, ils ont tout ce qu’il faut pour être des ados bien dans
leur peau et ma mère s’en félicite : ils sont encore “dans la vérité”.
Tu parles ! Difficile pour des ados de leur âge de prendre de la distance
par rapport à des parents qui leur payent tout ce qu’ils désirent dans
la limite de leurs possibilités. Que pensent-ils vraiment ?
Une fois encore, mes frères ont-ils le droit d’émettre une quelconque
indépendance de pensée alors que leurs parents ont tout fait pour eux
? Et puis l’Organisation a du s’apercevoir aussi des méfaits d’une éducation
trop rigide ce qui a largement facilité la tâche à ma mère : alors on
permet aux jeunes de s’amuser... Sous surveillance toutefois (entre jeunes
témoins exclusivement !).
Es-tu sûre Maman de ce que mes frères pensent vraiment s’il leur arrive
de ne pas penser “Jéhovah” ?
Que se passera-t-il, si un jour, ces deux derniers enfants plaquent les
Témoins ? Que deviendras-tu ? Etoufferas-tu une fois de plus ce merveilleux
et si fort instinct maternel que Dieu a mis en nous ?
Un jour ma mère m’a dit : “Tes frères
ne sont pas malheureux, les enfants de témoins ne sont pas des enfants
brimés”. Et pourtant qu’en ont-ils fait de leurs enfants ces Témoins ?
Lorsque ma jeune belle sœur (non-témoin, femme d’un des fils du premier
mariage de mon beau-père) de 25 ans s’est suicidée, malade des nerfs depuis
de longues années et que j’ai demandé à ma mère comment mes frères avaient
réagi, ma mère m’a répondu ceci :
- “Oh tu sais, eux... Ils se sont toujours moqué de Stéphanie et de son
cinéma...”
Mon Dieu, quelle misère de l’âme. Est-ce ainsi que pour eux, l’homme est
à l’image de Dieu ?
Oh que si, mes frères sont malheureux, comme ma mère de la pire misère
qui soit : celle de l’assèchement de leur cœur. On n’a peut-être pas tout
à fait raison de dire que cette secte procède à ‘un lavage de cerveau’
; on devrait ajouter : ‘essorage du cœur’. J’ai été atterrée par le cynisme
de la réponse.
Je n’ai rien trouvé à dire : qu’est-ce qui pourrait bien être dit pour
des cœurs insensibilisés à ce point ?
Leur néant me fait peur et me fait mal... Je n’y vois aucune trace d’Evangile.
A la suite de cet incident quelques
faits me sont revenu à la mémoire. Des anciens Témoins ne les intéressent
plus ; ils se sont “éloignés”, on n’en parle pas beaucoup, c’est leur
choix, un libre-arbitre qu’ils devront assumer : mais que penser lorsque
parmi ces “chrétiens refroidis” se trouve une maman qui a disjoncté à
la mort de son fils de quatorze ans (renversé par un camion alors qu’il
faisait du vélo) et une autre dont le mari et la fille ont péri dans l’accident
de leur voiture, la laissant seule avec sa douleur et trois enfants encore
petits. Mais comment osent-ils se prévaloir du Dieu Amour alors qu’ils
font preuve d’une telle déshumanisation qui leur semblent normale et JUSTIFIEE
(!) ?
Lorsqu’il m’est arrivé de demander à ma mère si elle pourrait assumer
la mort de ses enfants (du moins les deux derniers qu’elle couve comme
une poule ses poussins, parce que je crois qu’elle a fait son “deuil”
de ma sœur et moi), elle m’a parlé de choix, de libre arbitre... comme
d’une réponse toute faite. S’aperçoit-elle seulement de la contradiction
dans laquelle elle vit ? Pourrait-elle vivre la REALITE de les voir massacrer
sous ses yeux en chantant des cantiques quand je me souviens l’avoir vue
les yeux nerveusement fixés sur la pendule de la cuisine un jour où ils
étaient en retard et que la sirène des pompiers a retenti... S’imaginent-ils
seulement la réalité de ce qu’ils annoncent, les Témoins ? La plupart
n’ont jamais vu mourir sous leurs yeux un enfant innocent ou assisté à
la douleur épouvantable d’une mère qui a perdu son gosse dans des circonstances
brutales et dramatiques...
Si Dieu nous a fait avec l’instinct maternel et un potentiel d’Amour infini
et inépuisable pour ceux que nous aimons - a fortiori nos enfants - pourquoi
exigerait-il que nous étouffions, voire renions cet Amour alors qu’Il
nous l’a donné ? Ce n’est pas logique. Ce n’est pas de l’Amour.
Les Témoins de Jéhovah ont un verset biblique bien commode (dont ils se
sont arrogé la “bonne interprétation”) pour parer cette objection :
“Qui aime plus son père et sa mère que moi, n’est pas digne de moi”.
Ils en ont oublié un autre d’une des épîtres de Paul qui dit que “la lettre
tue, c’est l’Esprit qui vivifie.”,
qui veut bien dire ce qu’il veut dire : il ne faut pas prendre la bible
au pied de la lettre sous peine d’en arriver à des monstruosités comme
les ruptures familiales, douloureuses et contraires à tout Amour.
Ce dieu-là est bien plus proche d’un Baal (dieu idolâtre auquel font souvent
référence les Témoins de Jéhovah) qui exige un culte sans concession et
sans pitié que du Dieu qui nous demande de l’Aimer en aimant les nôtres
de façon non-égoïste et inconditionnelle (avec en plus une Miséricorde
infinie pour tous nos manquements à cet Amour-là qui n’est pas facile
au quotidien).
Ce que moi, je comprends dans ce verset “Qui aime plus son père...” je
le traduirais plutôt bien volontiers ainsi: “ceux qui comptent sur ceux
qui ne croient pas en mon Amour - fussent-ils de notre famille - et ne
comptent pas sur la force de cette Source inépuisable n’aimeront, ni ne
seront aimés bien loin ; parce que je suis Celui qui donne cet Amour plus
fort que tout, capable de passer sur bien des imperfections, de guérir,
de donner la Vie.”
Je ne suis pas plus exégète qu’un
témoin de Jéhovah, mais je me fie non pas à ce que me dicte une Organisation
qui n’a d’autre souci que d’exercer un pouvoir manipulateur sur ses adeptes,
mais à un seul “code” de compréhension : “Dieu est Amour”. J’imagine mal
Jésus parler avec nos mots du XXe siècle à des gens de culture très dure
(par rapport à la nôtre) : on ne faisait guère dans le sentiment au temps
de Jésus, quand à la psychologie... Elle se résumait à la mise à mort
pour motif somme toute assez intégriste (Jésus qui se proclamait Fils
de Dieu et les traitait d’imposteurs quand les Pharisiens mettaient leur
interprétation de la Parole au dessus de la Parole elle-même) ou bien
légère (menace de lapidation d’une femme ayant trompé son mari - on ne
dit pas si l’amant était lui-même marié et on n’insiste guère sur le fait
qu’il était sûrement volontaire...rude époque !). Bref, on ne faisait
pas dans la dentelle, je pense que Jésus n’aurais pas pu parler autrement
que par un langage codifié et bien de son temps (à l’époque on n’en était
pas encore au Nouveau Testament, mais à la lecture de la Loi (la Torah)
qui était malheureusement interprétée d’une manière extrêmement rigide
par les Pharisiens et autre chefs religieux de l’époque).
Autant parler de souplesse intellectuelle avec un... intégriste moderne
(j’allais dire un Témoin de Jéhovah !), de ceux qui organisent de véritables
“boucheries” dans certains pays à la mentalité très rigide et aux méthodes
assez expéditives... aux Témoins, qui eux ne se salissent pas les mains,
ils sont plus évolués, mais l’intégrisme est le même : chez eux, c’est
Dieu qui tue si tu ne marches pas droit. ( suite page suivante )
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